L’autoportrait a toujours existé depuis l’antiquité et a évolué au fil des siècles en fonction des courants artistiques et avec l’arrivée de la photographie. La photographe Juliette Jourdain se réapproprie l’art de l’autoportrait en se mettant en scène à travers ses personnages incarnés. Puissants et très graphiques, ses autoportraits nous transportent dans son univers fantastique inspiré de la peinture et du cinéma. Dans cette interview, Juliette nous dévoile ses secrets de création : de l’idée au portrait final !
Quelle petite fille étais-tu à 8 ans ?
J’étais une petite fille très créative, je faisais beaucoup de dessin et de peinture, mais je ne m’intéressais pas encore à la photo. J’aimais beaucoup inventer et créer mon univers. J’ai eu la chance d’être baignée dans une ambiance artistique avec mon père qui dessinait très bien et ma mère qui était passionnée de peinture et très portée sur la culture.
Un mot sur ton parcours ?
J’ai commencé mes études par un cursus en psychologie à la fac pendant 3 ans. J’avais pas mal de temps et c’est à cette période que j’ai commencé à m’intéresser à la photographie. J’étais très attirée par le portrait, mais pas sûre de mes réglages alors j’ai décidé de tester différentes techniques en me prenant moi-même en photo avant de demander à des personnes de poser pour moi. La photo est devenue une véritable passion, c’est ce qui m’a poussé à intégrer l’école EFET pour une formation de 3 ans dont l'objectif était développer mes compétences studio, ce qui m’attirait le plus. J’ai adoré cette formation qui m’a permis d’explorer plusieurs sets de lumière et de mettre en scène toutes mes idées.
La 3ème année était libre et je l’ai entièrement consacré à la photo de studio pour créer mon book personnel à travers des thèmes. Un jour, alors que je préparais une nouvelle série, mon modèle m’a planté, j’ai alors décidé de faire la photo sous forme d’autoportrait (comme je le faisais avant d'intégrer l’école). Et la photo réalisée ce jour-là (autoportrait chewing-gum) a été exposée à Arles à la fin de l’année avec la promo de l’école.
Comment as-tu vendu ta 1ere œuvre ?
J’ai eu de la chance d’être repérée à Arles lors de l’exposition réalisée en 2014 avec la promo EFET. Yellow Korner est venu me démarcher pour me proposer de vendre mes créations dans leurs boutiques. Et c’est après avoir gagné la 2ème place du concours du prix de la mode Picto avec ma photo chewing-gum que j’ai trouvé mon agent. C’est elle qui m’accompagne pour démarcher les galeries d’art et trouver des lieux d'exposition. Cet autoportrait a vraiment été un déclencheur pour moi et a donné de la visibilité à mon travail. J’ai eu beaucoup de chance, tout s’est fait très vite.
Quels sont les obstacles que tu rencontres ?
Souvent les gens pensent que nous gagnons beaucoup d’argent en vendant nos œuvres mais chaque intermédiaire prend une part et il ne nous reste qu’une partie de la vente (environ 1/3). Alors il faut vendre beaucoup pour en vivre correctement. Ce qui me rend le plus dingue, ce sont les personnes qui adorent tes photos mais qui n’ont pas les moyens de les acheter et qui les impriment en copie pour les exposer chez eux. Quand on aime un artiste, on respecte son travail en ne faisant pas de contre façon.
La mise en scène est au cœur de ton travail, peux-tu nous raconter ton processus de création ?
Je réalise mes autoportraits toute seule : le maquillage, la prise de vue et la postproduction. Je m’amuse beaucoup à tout faire toute seule, je me retrouve comme la petite fille qui aimait dessiner et se déguiser. Réaliser mes autoportraits toute seule me permet de tout maîtriser et de ne pas être obligée de briefer un modèle et une make-up. Je ne dessine jamais avant de faire la photo, j’ai tout dans la tête, c’est pour cette raison que c’est plus simple de la retranscrire directement plutôt que de passer par des intermédiaires.
Et puis je crée mes portraits dans la chambre d’ami de ma maison alors si je devais travailler avec toute une équipe ce ne serait pas forcément évident en terme d’organisation. C’est d’ailleurs à cause de ce manque de place que j’ai commencé par des autoportraits avec un cadrage très serré aux épaules et finalement je le trouve très esthétique.
Faire avec des contraintes fortes permet de développer son imagination. Si vous voyez les backstage de mes shootings vous rigoleriez, c’est un bazar sans nom ! Mais je suis très organisée, je range tout, les perruques ne traînent pas dans la maison :)
Les idées de mes autoportraits me viennent sans vraiment y réfléchir. Ils ne revêtent aucun message mais expriment plutôt mon ressenti et mes émotions du moment. Ce qui me plaît, c'est que les gens qui regardent la photo se racontent l’histoire qu’ils veulent et ressentent leur propres émotions.
A quel rythme crées-tu ?
Je suis maman d’un petit garçon d’un an et demi, alors mon rythme a pas mal ralenti depuis quelques mois. Mais en ce moment, avec le confinement, j’ai un peu plus de temps parce que mon conjoint est à la maison avec nous. Je ne cherche pas d’idée, je fais des photos quand j’en ai une. Je ne suis pas à la recherche de "La Photo".
J’ai commencé une série d’autoportraits appelée "Big-headed" qui sera composée de 365 portraits. Au départ, je voulais en faire une par jour pendant un an, mais j’ai très vite réalisé que c’était compliqué parce que je ne peux pas créer un autoportrait impactant chaque jour et je ne veux pas publier des portraits moins forts. Pour l’instant j’en ai 230 et je suis fière de chacun.
J’aimerais en faire une expo et un livre, mais j’attends de l’avoir finie !
Où puises-tu tes inspirations ?
Je m’inspire énormément du cinéma, des séries et de la musique, en fait de tout ce qui me fait vibrer. Par exemple, quand j’aime une musique, j’essaie d’imaginer quel portrait je pourrais créer pour aller avec.
Pour un de mes autoportraits, je me suis inspirée de la peinture des tournesols avec Van Gogh. Je n’ai pas de règles, je crée ce qui me vient !
L’autre jour, ce sont des clients qui ne m’avaient pas payé depuis 6 mois qui m’ont inspiré l’autoportrait fuck. Je leur ai envoyé la photo et ils m’ont réglé la facture dans la foulée !!
Quelle est ta prochaine exposition ?
Je devais être exposée au VIF (Vincennes Images Festival) du 26 au 30 mai en 2021 mais l’événement est reporté en raison des contraintes sanitaires. Je participerai donc à la prochaine édition. Et puis quand j’aurai fini mes autoportraits, je commencerai à imaginer mon exposition avec mes 365 créations, j’ai tellement hâte !
Quelle est ton actualité ?
Je suis en train de préparer des cours en ligne sur le portrait créatif pour la plateforme Domestika spécialisée dans les arts créatifs et ça me demande un gros travail de préparation. Ils viendront chez moi filmer les cours en juin.
J’ai aussi pas mal de demandes pour la mise en place de workshops. J’attends de voir l’accueil qui sera réservé à mes cours en ligne avant de mettre en place des formations en présentiel !
Quel est ton mantra ?
Ne jamais se mettre de barrière créative en se disant que son idée est loufoque ! Il faut montrer son travail et ne pas le laisser dans son ordinateur. On a souvent peur des critiques mais il faut les dépasser et ne pas toujours se soucier de l’avis des autres, même s'il peut-être constructif.
Surtout ne pas oublier qu’on ne crée pas pour les autres mais pour soi !
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